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lundi 19 décembre 2011

France, pays de jouvence !




Encore un petit portrait. Je ne sais pas si ces textes intéressent. Bavard compulsif, les gens que je rencontre ont tendance, face au flot de ce qu’ils prennent pour des confidences,  à laisser échapper un mince filet de détails intimes contenant parfois des pépites. Je parle de ces petits riens, de ces accidents cocasses ou  dramatiques, de ces ironies du sort  qui rendent la vie de ceux qui les ont vécus originale.  C’est le cas d’Yvonne.

En 1989, j’ai touché le fond. Ruiné, seul, sans feu ni lieu, sans projets ni avenir visible, je traînais ma déprime entre un stage de commerce international et mon ex-foyer afin d’y voir ma fille. C’est alors que j’ai rencontré  Yvonne. Elle tenait un modeste stand de plats vietnamiens à emporter aux halles de Châteauroux. Allez savoir pourquoi, Yvonne se prit d’amitié pour moi. Elle me trouvait gai, souriant et enjoué. Il faut croire qu’alors que je contemplais, morose, les ruines de mon petit monde, je devais avoir l’air moins sinistre que le castelroussin de base au summum de sa félicité. La vie est faite de malentendus.

Yvonne était un personnage. Souvent absente de son stand, elle passait son temps à jouer au billard dans le troquet d’à côté. Pour être servi, il fallait aller la chercher. Autre détail original : elle fumait des cigarillos. Notre amitié n’était pas sans avantages. Quand j’allais faire mes courses chez elle, pour une somme dérisoire, je revenais chargé de tout un tas de mets savoureux copieusement servis. Quand mon ex-femme ou l’amie chez qui nous mangions souvent allaient  s’y fournir, les prix et les portions n’avaient rien de comparable. J’étais donc préposé aux achats de plats exotiques.

Nous allions parfois boire un coup au café et nous nous racontions nos vies.  Sa vie, à Yvonne, n’avait rien d’un long fleuve tranquille. Ni plus ni moins que celle de tous les sino-vietnamiens qui ont eu à traverser  les guerres qui ont déchiré son pays d’origine des décennies durant, je suppose. Je passerai sur les exploits des héros communistes coupant les doigts des chinois qu’ils exécutaient afin de récupérer leurs bagues, sur son refus de payer la rançon que le gouvernement démocratique réclamait pour libérer son mari, ex-officier dans l’armée du sud, et qu’elle trouvait disproportionnée à la valeur du bonhomme… Parmi tant d’anecdotes oscillant entre l’horrible et le sordide, il en est une plutôt cocasse qui concernait son âge.

Du temps de l’Indochine française et après l’indépendance du Viet-Nam, il était possible, sous certaine conditions,  d’opter pour la nationalité française, pourvu qu’on le fît avant ses 18 ans. Ignorant ce détail, Yvonne se présenta au bureau ad hoc afin d’y acquérir une nationalité qui pourrait s’avérer utile à l’avenir. Innocente, elle déclara son âge réel. Il lui fut signifié que pour elle, c’était trop tard. Yvonne ne se laissa pas décourager pour autant. Avec une patience toute asiatique, elle attendit que le fonctionnaire qui l’avait rebutée quittât son poste. Cela prit plusieurs années, après lesquelles elle fit de nouveau  acte de candidature. L’état civil étant probablement un rien erratique en ces contrées, elle se présenta au remplaçant comme ayant 17 ans et obtint satisfaction.

En devenant française, elle perdit au moins cinq ans. Comme quoi il est possible de rajeunir considérablement sans le moindre appel à de coûteuses crèmes de beauté…

Seulement, toute médaille a son revers : quand je l’ai rencontrée, il arrivait à Yvonne de regretter d’être contrainte de continuer de gagner sa vie alors qu’elle avait dépassé, depuis quelque temps déjà,  l’âge de la retraite. On ne peut pas tout avoir.